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La naissance de l'État

Où l'on apprend que l'État est né dans la violence et la tyrannie.

La naissance de l'État

La Revue de l'Economie

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Interview du Docteur Woe

 


Aujourd’hui, nous plongeons dans les travaux visionnaires de Franz Oppenheimer, qui identifie six étapes fondamentales dans la formation de l’État. Ces étapes, fruit d’une lente évolution sur des millénaires, sont le résultat de la lutte pour la survie et l’adaptation humaine. Allons-y !


La Revue de l'Economie :  Docteur Woe, pouvez-vous nous rappeler les moyens de survie qui se présentent à l’humanité ?


Dr. Woe : Oppenheimer rappelle dès le début de son œuvre qu’il n’y a que deux moyens fondamentaux pour assurer sa survie et s’enrichir :


  1. Le moyen économique : Production et échange volontaire, fondés sur la coopération pacifique et le travail.

  2. Le moyen politique : Appropriation violente des richesses d’autrui, par la conquête, la domination ou la coercition.


Au fil de l’histoire de l'humanité, le moyen politique a systématiquement pris le dessus sur le moyen économique, mettant ce dernier en coupe réglée.


La Revue de l'Economie :  Le moyen politique, n'est-ce pas une histoire de pouvoir entre humains ?


Dr. Woe : Effectivement. Il faut distinguer trois grands groupes.


Les chasseurs-cueilleurs, véritables précurseurs, avaient une vie marquée par une précarité extrême : pas de surplus, dépendance totale aux aléas de la nature, et déplacements constants à la recherche de nourriture. Fragiles, ils avaient au moins l’avantage de pouvoir éviter les conflits prolongés avec d’autres groupes en fuyant. En général ils finirent par disparaître ou se fusionner aux autres groupes.


Les paysans, eux, cultivaient la terre, élevaient du bétail, et stockaient des récoltes dans des greniers bien remplis. Leur richesse était leur force, mais aussi leur plus grande faiblesse : enracinés à leurs terres, ils ne pouvaient fuir en cas d’attaque. Habitués à labourer, à traire, à bâtir, ils étaient mal préparés pour la guerre.


Enfin, les nomades, maîtres de la mobilité, vivaient d’élevage et de déplacements constants. Leur mode de vie les rendait naturellement plus forts et plus talentueux pour la guerre : ils s’entraînaient quotidiennement à monter à cheval, à manier les armes pour protéger leurs troupeaux, et à coordonner leurs déplacements sur de vastes territoires. Leur discipline martiale et leur endurance physique surpassaient celle des paysans.


Il en était d'ailleurs de même avec les nomades marins (par exemple les vikings), habitués à ramer toute la journée, et à se nourrir du peu de poisson qu'ils pêchaient.


Lorsque les ressources venaient à manquer, les paysans et leurs greniers bien remplis devenaient une cible idéale.


La Revue de l'Economie : Pourquoi les nomades s’en prennent-ils aux paysans ?


Dr. Woe : Imaginez un hiver rude, des troupeaux décimés, et aucun surplus pour compenser. Les nomades n’ont qu’une seule option : attaquer. Les paysans, avec leurs réserves soigneusement accumulées, représentent une solution immédiate. Le moyen politique (le vol, la violence) s'impose comme une évidence.


C’est ainsi que naît la première étape : le pillage. Les nomades lancent des attaques brutales : ils volent les récoltes, brûlent les habitations, kidnappent femmes et enfants, violent, et tuent les hommes qui osent résister. Les paysans, malgré leur courage, ne peuvent rivaliser avec la rapidité et la supériorité militaire des nomades. Le moyen économique est mis à sac.


Mais voilà, brûler et tuer tout le monde, ce n'est pas malin... ça laisse les terres vides et stériles pour les prochaines années. Petit à petit les nomades finissent par comprendre qu’ils devaient penser sur le long terme.


La Revue de l'Economie : Que se passe-t-il alors ?


Dr. Woe : Le pragmatisme commence à émerger, et on évolue la prochaine étape : la trêve, où les conquérants se disent : « Pourquoi tuer la poule aux œufs d’or ? » Ils réalisent qu’un paysan vivant et des terres intactes rapportent plus qu’un champ en cendres.


Pensez à un ours qui apprend à devenir apiculteur : au lieu de détruire la ruche, il se contente de récolter le miel. Il y a donc une volonté de pérenniser le moyen économique, afin d'en tirer profit les années suivantes. Cette prise de conscience, plus ou moins lente selon les situations, a pu se faire sur une très longue période.


La trêve met fin aux massacres inutiles, ce qui est un progrès. Les nomades volent bien sûr tout ce qu'ils peuvent, mais laissent les paysans en vie pour qu'ils travaillent pour la prochaine razzia. Si toutefois, ils violent deux ou trois gueuses au passage, ils font désormais plus attention aux récoltes, pour ne pas mettre en péril les prochaines semailles.


Pour autant, surgit une nouvelle complication. Si les paysans voient toutes leurs récoltes confisquées, ils finiront par tomber malades, voire mourir de faim. Or, les nomades ont besoin de paysans vigoureux et travailleurs pour pouvoir les piller année après année.


C’est ainsi que naît l’étape suivante, celle du tribut. Les nomades ne prennent plus qu'une partie de la récolte, la plus grosse partie, laissant au paysan juste assez pour survivre et rester quelque peu vigoureux. Ce n'est plus un pillage total, c'est plutôt une collecte régulière.


La Revue de l'Economie : Il n'y a plus de massacre ni de pillage ?


Dr. Woe : Les conquérants se rendent compte qu'il est dans leur intérêt de laisser les paysans non seulement en vie, mais aussi de leur permettre de survivre et de rester en relative bonne santé. Ainsi, les massacres et les razzias sporadiques se transforment petit à petit en une collecte régulière et organisée d'une partie des récoltes – souvent la plus grande partie, bien sûr. C'est le tribut.


Face aux razzias multiples menées par les autres groupes de pillards, les paysans préfèrent naturellement s'entendre avec le groupe dominant capable de les protéger. De son côté ce groupe dominant a tout intérêt à préserver les récoltes intactes : elles sont désormais sa principale source de revenus. C'est le tribut contre protection.


Voilà que les paysans gagnent en stabilité et les conquérants économisent temps et ressources, et peuvent aller mener des raids ailleurs.


Le poids de ce tribut évoluera avec le temps. Si les paysans ne conservent que le strict nécessaire pour survivre, tandis que le reste de leur production est systématiquement confisqué, ils perdent toute motivation à produire au-delà du minimum vital. Cette situation finit par réduire drastiquement les ressources disponibles pour les nomades, créant une impasse économique.


Face à cette réalité, les nomades comprennent qu’ils doivent ajuster leurs exigences. En réduisant quelque peu le poids du tribut, ils permettent aux paysans de dégager un surplus qui les incitera à travailler davantage, tout en garantissant un flux de ressources plus durable pour les conquérants. Ainsi naît une forme d’« optimum économique », où l’exploitation devient calculée plutôt que brutale.


La Revue de l'Economie : Que signifie l’étape de l’occupation ?


Dr. Woe : Pour mieux défendre les terres des paysans des autres pillards et protéger les provisions, les conquérants finissent par s'installer de manière permanente à côté des paysans. Ils construisent des fortifications, surveillent les villages et assurent la sécurité des paysans contre d’autres prédateurs. Bref, ils quittent leur statut de nomade pour se sédentariser.


Les conquérants prélèvent les tributs et gèrent la défense, tandis que les paysans continuent de travailler et de s’occuper de leurs affaires internes. C’est une étape de consolidation territoriale.


Au début, ce n’est qu’une cohabitation sans trop de liens. Mais petit à petit l’occupant comprend qu’il pourrait maximiser ses profits en régentant lui-même la vie des paysans.

C’est ici que naît le monopole du pouvoir.


La Revue de l'Économie : Le monopole du pouvoir est une nouvelle étape ?


Dr. Woe : Absolument, c'est un monopole, et il est total. Les conquérants n’avaient aucune intention de partager leur pouvoir avec les paysans qu’ils dominaient.

Ils ont compris rapidement que pour maximiser leurs profits, ils devaient structurer leur domination.


Ces interventions ne sont pas altruistes : des paysans qui se disputent ou qui se volent entre village, c’est moins de temps passé à produire et moins de ressources à collecter. Il devient donc indispensable d’imposer des règles, de centraliser l’autorité, et d’organiser ces communautés paysannes.


Les conquérants créent alors une administration rudimentaire pour gérer la justice, superviser les travaux publics et coordonner les relations entre villages. Ils cessent d’être de simples protecteurs et collecteurs de tributs pour devenir de véritables gestionnaires, toujours dans le but de maximiser leurs revenus.


C'est la naissance d’une organisation proto-étatique. L’occupation se transforme en un pouvoir structuré et systématique, un précurseur de l’État moderne, où la gestion centralisée des ressources et de la justice devient un outil de contrôle et de profit.


Mais régner par la force et la gestion est insuffisant pour durer. Pour consolider leur pouvoir et se faire accepter définitivement par les paysans, les conquérants doivent transformer leur domination brute en une unité culturelle et nationale. Ainsi, naît l’idée de la nation.


La Revue de l'Économie : Comment décririez-vous la dernière étape, l’État ?


Dr. Woe : L'aboutissement de ce processus est : l’État dans sa forme achevée. C’est ici que les conquérants et les dominés, autrefois opposés, s’unissent progressivement pour former une entité nationale.

Ce processus prend du temps, mais il s’appuie sur plusieurs éléments clés : une langue commune se développe, des coutumes partagées émergent, et même des mariages mixtes viennent renforcer cette unité sociale.


À ce stade, l’État devient une institution centrale. Il n’est plus simplement un outil de domination, mais il est perçu comme légitime par ses membres. Les anciennes divisions entre conquérants et paysans s’effacent, et une nouvelle identité collective prend forme : celle d’une nation.


Cette évolution n’est pas un miracle soudain, mais le fruit de siècles, voire de millénaires, d’adaptation humaine. L’État moderne, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est né de la violence, mais il s’est transformé par nécessité pour devenir un pilier de stabilité et d’organisation. Reste à savoir si cette stabilité est encore à la hauteur des défis contemporains.


La Revue de l'Économie : Que retenir de cette histoire de la naissance de l'État ?


Dr. Woe : L’État n’est pas né d’un pacte social harmonieux, mais du pillage, puis de l'exploitation du moyen économique (les paysans).


Il est le résulat d'une évolution et chaque étape est une réponse pragmatique à des besoins spécifiques : stabiliser, maximiser les gains et minimiser les risques.

Sources et références académiques

Les interviews du Docteur Woe s'appuient sur de nombreux ouvrages académiques et études d'experts que vous pouvez découvrir. Bonne lecture !

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